12 avril 2024

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« L’approche chaotique risque de paralyser la CTOI en tant qu’institution fonctionnelle et de dévaster les petits États insulaires en développement »

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Les archives de Maurice Info

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La Commission des thons de l’océan Indien (CTOI) a tenu une session extraordinaire du 3 au 5 février 2023 au Kenya, sur les dispositifs de concentration de poissons (DCP ou FAD en anglais) destinés à protéger les stocks d’albacore en réduisant les captures de juvéniles.

Après une réunion houleuse, intense et parfois dysfonctionnelle, un vote a eu lieu pour faire respecter l’interdiction de l’utilisation de dispositifs de concentration de poissons dérivants (dFAD) dans les zones de haute mer de l’océan Indien du 1er juillet au 11 septembre 2024 et les années suivantes.

« Aucune donnée scientifique n’a été présentée pour démontrer que cette mesure serait efficace. C’était une mesure votée en dépit du bon sens, sans réelle réflexion et occasionnera des problèmes importants pour l’industrie de transformation du thon à Maurice. Le fait qu’elle ait été parrainée par des pays qui ont refusé d’adhérer aux résolutions existantes sur la réduction des Yellowfin est un facteur aggravant et devrait faire honte aux ONG liées à la pêche à la canne, dont l’empreinte se retrouve partout sur cette proposition », explique Cougen Purseramen, président de STA (Sustainable Tuna Association).

Dispositifs de concentration de poissons
Lors de la réunion de la CTOI, des résolutions ont été présentées par l’Inde pour une interdiction totale des DCP et par le Kenya pour une période de fermeture de 3 mois. La proposition indienne n’a reçu aucun soutien en raison de son manque de crédibilité. La proposition kenyane, mystérieusement abandonnée par le Kenya au matin du premier jour, fut reprise par l’Indonésie, alors que l’UE présentait une contre-proposition sur la gestion des DCP demandant plus de recherche et de données sur l’efficacité d’une fermeture de pêche sous DCP. Ce sont les deux propositions les plus discutées et contestées.
L’interdiction actuelle proposée a été imposée sans recommandations scientifiques préalables de la Commission scientifique de la CTOI, qui ne se réunit qu’une fois par an, début décembre.

« Fondamentalement, l’océan Indien est une zone de pêche mixte avec un large éventail d’engins de pêche et de pays pêcheurs. Dans le cas des thons tropicaux, la pêche à la senne représente environ un tiers des captures ! S’il est parfaitement raisonnable de s’attendre à ce que le secteur de la senne aille plus loin et plus rapidement avec des mesures de conservation que certaines flottes artisanales, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que le secteur de la senne agisse seul ou soit tenu seul responsable d’un stock partagé », a ajouté M. Purseramen. Les thons tropicaux sont des espèces hautement migratrices qui traversent l’ensemble de l’océan Indien, transitent dans différentes ZEE et en haute mer. Aucun pays ne peut donc prétendre posséder son propre stock de thon, indépendamment des autres.

À qui profite vraiment cette résolution ?
« Maurice et les Seychelles ont développé une industrie de transformation depuis que nos pays sont devenus indépendants. Dans le cas de l’île Maurice, notre industrie fête ses 50ans. Mais il convient de noter que nous éclipsons une autre industrie : celle de la pêche à la canne (pole and line en anglais) —. Que ce soit fabriqué à Maurice ou produit aux Seychelles, nous sommes en concurrence en Angleterre et en Europe avec le thon des Maldives et d’Indonésie. Et derrière cette industrie, nous trouvons une grande entreprise avec un réseau influent d’ONG qui tire les ficelles derrière le G16 » a déclaré M. Purseramen.

Le thon des Maldives a longtemps été le seul thon de l’océan Indien à avoir la certification MSC, et donc à avoir une valeur supérieure sur ses marchés d’exportation qui sont les mêmes que Maurice et les Seychelles, mais maintenant que les senneurs à senne coulissante détiennent de plus en plus ce label écologique après une décennie d’améliorations, leur part des marchés s’érode. « Il s’agit d’une stratégie commerciale sous couvert de durabilité », a ajouté M. Purseramen.

Les membres de la STA estiment également que le choix des dates de fermeture n’est pas sans motif ultérieur. Alors que la résolution applique une interdiction de pêche au DCP dans l’OI du 1er juillet au 11 septembre, d’autres océans tels que WCPO (océan Pacifique Centre-Ouest : 1 er juillet au 30 septembre) et CITT (Commission interaméricaine du thon tropical : du 29 juillet au 8 octobre) ont des fermetures qui coïncident.

« Du point de vue de la durabilité, il serait surprenant que les mêmes conditions environnementales prévalent en même temps dans les 3 océans, et entraînent une fermeture de DCP. Cependant, lorsque vous analysez ce choix d’un point de vue commercial, vous voyez qu’il y a une intention malveillante d’écraser l’industrie de transformation des Seychelles et de Maurice, en nous empêchant d’acheter du poisson provenant d’autres océans », a ajouté M. Purseramen.

Le fait qu’il y ait des fermetures simultanées causera inévitablement une pénurie globale de thon pendant cette période, ce qui entraînera alors une augmentation des prix de la matière première et affectera obligatoirement la compétitivité de Maurice et des Seychelles. Comme cette mesure ne concerne que la pêche à la senne, elle laisse opportunément la voie libre à la vente, sur les marchés européens, aux thons capturés par les autres engins de pêche. 72 jours de fermeture = 130 jours sans poisson
La durée de cette fermeture des DCP, qui empêche également la dissémination des DCP, ne reflète pas la durée pendant laquelle les conserveries de Maurice et des Seychelles resteront sans approvisionnement.

« Au moment où les senneurs auront à nouveau le droit de pêcher, ils devront d’abord passer du temps à mettre à l’eau les DCP, à attendre ensuite que le poisson s’accumule, ensuite il faut le temps de pêcher, de retourner au port des Seychelles, le débarquer pour le transporter ensuite vers Maurice. Avec tout cela, nous atteignons facilement un décompte d’au moins 130 jours, soit près de 4 à 5 mois sans aucun approvisionnement ! »

Les capacités de stockage frigorifique de Maurice, mais aussi des Seychelles, ne permettent pas de stocker suffisamment de poissons pour éviter toute interruption de l’approvisionnement et les implications pour des milliers d’employés du secteur thon à Maurice et aux Seychelles sont très graves. « Comment expliquer à ces travailleurs, qu’à la suite d’un vote majoritaire par des nations qui n’ont fait aucun effort pour réduire leurs propres captures de yellowfin, ils devront cesser de travailler tandis que d’autres continueront sans entrave ? » a-t-il ajouté.

Est-ce la fin de la CTOI ?
Malgré l’appel lancé par le Japon pour que le dialogue se poursuive à la prochaine session de la Commission à Maurice en mai, les auteurs de la proposition ont demandé un vote, ignorant ainsi l’esprit de consensus qui aurait dû prévaloir. La question peut donc être posée : est-ce le nouveau fonctionnement qui prévaudra au sein de la CTOI ? Est-ce ainsi que les propositions seront adoptées ou bloquées ? Est-ce ainsi que le G16 va imposer ses positions, ignorant du même coup la vulnérabilité de certains États comme les Comores, les Seychelles et Maurice ?

« Nous lançons un appel à tous les États membres de la CTOI pour qu’ils reviennent à la raison et reprennent l’esprit de collaboration et de consensus qui devrait prévaloir au sein de la Commission. Que cela nous plaise ou non, notre avenir est étroitement lié et ce n’est qu’en acceptant de faire des compromis et de collaborer que nous atteindrons notre objectif ultime : la reconstitution des stocks. La situation est grave pour tout le monde et pas seulement pour un segment de la pêche. Recommençons à zéro et faisons des propositions qui incluront tous les engins de pêche et créeront des conditions équitables pour tous. Tout le monde a un effort proportionné à faire, alors mettons enfin de côté nos différences et faisons en sorte que la prochaine session de la CTOI à Maurice soit couronnée de succès », dit M. Purseramen.

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